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Comment retourner la France en créant un phénomène de société ?

Partant d’un constat simple – la marque affiche 0 % de notoriété à son lancement –, Le Numéro a réussi à s’installer au sommet de la hiérarchie des nouveaux opérateurs de renseignements téléphoniques grâce à un dispositif publicitaire excessivement puissant mais, surtout, particulièrement astucieux, qui a envoûté les Français.

Objectif
S’imposer comme acteur incontournable du marché

S’imposer comme acteur incontournable du marché En ouvrant à la concurrence le marché des renseignements téléphoniques mi-2004, le Conseil d’État pouvait-il se douter qu’il allait provoquer, un an et demi plus tard, une déferlante publicitaire comme la France en a rarement connu ? La disparition du 12 ainsi programmée laissait en effet le champ libre à une meute d’opérateurs alléchés par la cagnotte à glaner. Parmi eux, Le Numéro. Une entreprise aux racines anglo-saxonnes totalement inconnue en France qui, comme la bonne vingtaine d’autres candidats, allait devoir user d’imagination pour s’imposer dans l’esprit des Français.

Mission délicate, d’autant que les nouveaux opérateurs doivent faire face à l’hostilité des médias et des principaux groupes de consommateurs vis-à-vis de cette déréglementation, dont la population ignore à peu près tout. Pour corser l’affaire, il se trouve que Le Numéro dispose avec le 118 218, fruit d’un tirage au sort organisé en juin 2005 par l’Autorité de régulation des télécoms (Arcep), d’un numéro qui est tout sauf simple à mémoriser. Face à des concurrents puissants et expérimentés tels que France Télécom, Pages Jaunes, Telegate ou Allô Bottin, la partie était donc loin d’être gagnée. Pour exister, nous devions frapper vite et fort, afin de nous imposer rapidement comme l’un des deux acteurs incontournables du marché , explique Laurent Foisset, directeur marketing du Numéro. Une stratégie inévitable puisque l’on sait, grâce à l’expérience de différents marchés européens, que seuls deux ou trois acteurs parviennent à s’imposer sur le marché au bout d’un an d’activité.


L’objectif de communication assigné aux agences .V. (publicité), KR Média (achat d’espace) et Kassius (Internet) est donc de créer rapidement une forte notoriété, notamment en Top of Mind puisque, sur ce marché, l’usage est un réflexe et les gens ne retiennent qu’un numéro. Mais également de rendre le code 118 218 le plus mémorisable possible en le faisant émerger dans la cacophonie ambiante ; inciter les consommateurs à appeler le 118 218 en créant du trafic vers les centres d’appel et en leur donnant raison d’appeler ce numéro ; développer un lien émotionnel fort avec les consommateurs, pour créer de la préférence malgré un service peu différencié, et créer de l’implication sur un marché peu impliquant. Mais il était surtout impératif de lancer un phénomène de société, en inscrivant la marque dans la vie des Français pour démultiplier l’effet de la campagne et permettre à chacun de s’approprier la marque et diffuser le buzz , avance Christian Vince, président et directeur de la création de .V.

Moyens
Un matraquage publicitaire intelligent

La task force regroupant les patrons des agences respectives autour du projet, réunis toute les semaines pour faire évoluer la campagne, décide de s’inspirer du succès de The Number, le cousin anglais du Numéro, et de personnifier le 118 218 via deux personnages qui seront le point d’ancrage de la stratégie de com. Pour les rendre incontournables, la marque s’inspire en plus de l’un des gros succès populaires français en parodiant le Gym Tonic des illustres Véronique et Davina, et conçoit un thème musical qui est en fait la marque de fabrique du 118 218 : le Toutouyoutou. Cela nous permettait de développer une campagne très mnémotechnique et d’installer des codes forts pour le futur : l’humour, l’énergie, et l’engagement , avance Luc Wise, directeur du planning stratégique chez .V.

Nous avons décidé de nous comporter en leader du marché en prenant la parole très tôt et massivement , ajoute L. Foisset. Pour contourner une réglementation très stricte, interdisant aux nouveaux opérateurs de se présenter comme le successeur exclusif du 12 et de communiquer son numéro avant le 2 novembre 2005, Le Numéro lance en TV, sur les quinze derniers jours d’octobre 2005, un teaser constitué de cinq films bénéficiant de 400 GRP sur la cible des 15-49 ans (source Mediaexplorer). Celui-ci renvoie sur le site mystère toutouyoutour.fr, conçu par l’agence Kassius. Cette opération est déclinée en deux temps en affichage, pour annoncer officiellement la disparition prochaine du 12, l’affiche étant, le jour J, taggée afin de transformer le 12 en 118 218. Cette anticipation nous a permis de prendre de court la concurrence et de susciter l’intérêt des consommateurs avant que le raz de marée publicitaire ne démarre , savoure Xavier Real Del Sarte, DG de .V.

C’est effectivement une déferlante qui s’abat sur la France, fin 2005, la population se trouvant noyée sous l’offensive pub des différents opérateurs, en TV, radio et affichage. En six mois, les opérateurs investissent 117 M€, Le Numéro (près de 40 M€), les Pages Jaunes et France Télécom concentrant à eux trois 80 % des investissements. Mais là où ses concurrents se contentent d’une stratégie média relativement classique, Le Numéro renouvelle sans cesse ses prises de parole pour anticiper et prévenir la lassitude des consommateurs.

25 films différents auront ainsi été diffusés entre le 2 novembre 2005 et le 2 juin 2006. Nous avons été les premiers à dire que le 12 allait disparaître (film “la Capitale”), que les numéros de renseignement des opérateurs mobiles allaient aussi disparaître (film “les Lapins”), ou que les nouveaux numéros de renseignements téléphoniques étaient disponibles aussi bien d’un fixe que d’un mobile (film “Tapis tonic”) , explique L. Foisset. Le 118 218 n’a pas oublié non plus de communiquer sur des événements clés, sous forme de billboard TV au moment des JO d’hiver de Turin – allant jusqu’à créer une nouvelle discipline, le skirf –, du Mondial de foot, de la reprise de la série TV Lost et de la Star Academy. Grâce aux actions de hors-médias, de street marketing et interactives, les agences en charge du budget prolongent la « brand experience » au-delà des médias classiques en développant la viralité, et permettent aux internautes de se réapproprier la marque.

Incontournable de par cette présence médiatique inédite, le Toutouyoutou devient un phénomène culte balayant tout sur son passage. La chanson phare de la marque et la phrase « Le Douze, tu sors » deviennent des classiques des cours d’école, des boîtes de nuit et des bureaux, les panoplies des personnages partent comme des petits pains, les soirées thématiques reprenant les codes de la marque se multiplient, et le ministre de l’Économie, Thierry Breton, va même jusqu’à lancer aux députés socialistes chahuteurs, à l’Assemblée nationale : « On n’est pas chez les toutouyoutous ! »

Résultat
45 % de PDM !

Deux mois après la fermeture du 12 et huit mois après son lancement, le 118 218 était le leader du marché avec une PDM de 45 %. Sa notoriété écrase la concurrence, notamment en Top of Mind (47 % vs 19 % pour France Télécom, 10 % pour Telegate et 9 % pour Pages Jaunes). Le Numéro atteint 75 % de notoriété spontanée contre 43 % pour France Télécom, qui possédait pourtant un numéro faisant référence au 12 (118 712). « Il s’agit du gain de notoriété le plus économique du marché : 37,4 M€ investis à fin avril 2006, pour 42 % de TOM, pour un coût par point de notoriété TOM gagné de 0,89 M€ », dit-on chez .V. et KR Media.

Le site Web a enregistré 1,5 million de visiteurs uniques en quinze jours sur le site teaser toutouyoutou.fr., et 15 millions de pages vues en avril 2006. La campagne a un taux de reconnaissance de 93 %, de souvenir publicitaire de 74 % et d’attribution à la marque de 84 %. Des scores parmi les plus élevés jamais enregistrés par Louis Harris pour une marque de services et télécom, et ce dès le quatrième mois. Les deux premières raisons d’appel (la présence à l’esprit et l’agrément pub) sont, en plus, directement liées à l’efficacité de la com.

L’item « C’est le premier numéro auquel je pense » atteint 61 %, et « J’aime la pub pour ce numéro » 19 %. 310 000 téléchargements de sonneries, images, jeux… sur mobiles ont été effectués, 470 000 téléchargements de films pub, et 100 000 ex. du single Toutouyoutou ont été vendus par Universal. N’en jetez plus !

Tanguy Leclerc - CB News - www.cbnews.fr