Comment faire un cinéma d’un produit financier

Séduire les consommateurs avec des produits financiers ? BNP Paribas et BETC Euro RSCG relèvent le défi en optant pour un ton cinéma hollywoodien très décalé dans l’univers cartésien et plutôt sérieux du secteur bancaire.

 

Objectif : rassurer et séduire à la fois

L’argent : un vaste sujet souvent tabou.
La banque : une institution sérieuse souvent ennuyeuse. Les produits financiers : un brouillard opaque sans aucun glamour. Ce n’est pas un hasard si aucune marque de banque ne parvient à entrer dans le club des cent marques préférées des Français ! En effet, qui n’a jamais redouté le coup de fil de son banquier ou tremblé à l’idée de négocier le taux de ses agios ou d’un prêt ? « Au départ, le banquier est synonyme de capital, ce qui ne lui confère pas forcément une grande sympathie, souligne Antoine Sire, directeur du département communication de BNP Paribas. Cependant, face à cette fonction doublée d’une vraie dimension sociale, l’institution qu’est la banque doit savoir rassurer et séduire. Or, le plus souvent, ce deuxième aspect est mis de côté. » Difficile, en outre, de séduire le consommateur lorsque la crise économique s’installe, que la Bourse, temple de l’argent, s’effondre après la bulle Internet et que la monnaie unique sème le doute sur la puissance économique nationale. 

Pourtant, en 2002, BNP Paribas décide, malgré le contexte, de lancer un produit de placement présentant la particularité de reposer sur deux bases de capitalisation. Explication : sur une période de dix-huit mois, une moitié de l’épargne est placée en fonds garantis et l’autre moitié à terme. Un cocktail garantissant au minimum un rendement de 2,75 % à terme, mais pouvant – tout espoir est permis ! – culminer à 7,6 %.

De manière générale, les produits financiers sont peu connus et souvent difficiles à comprendre. Quant à leurs communications, elles sont traditionnellement soporifiques. C’est pourtant sur ce type de produits très techniques, et non sur les crédits, que les banquiers peuvent faire preuve de leur créativité, jouer du marketing et tenter de faire la différence pour séduire. BNP Paribas, la plus grosse banque en capitalisation boursière de la zone euro, à défaut d’être la première banque des particuliers, décide donc de prendre le contre-pied des codes de son secteur en dotant ce nouveau produit bancaire d’un nom de baptême décroché sur le plus haut sommet de l’Everest. « Avec K2, notre objectif était d’intriguer nos clients, d’en recruter de nouveaux, de mobiliser le réseau interne en prouvant combien la communication peut les soutenir et, enfin, de gagner des points d’attractivité dans le baromètre d’image mensuel », précise Antoine Sire.

 

Moyens : activer les 22 km de vitrine et prolonger en Decaux

Le secteur bancaire n’échappe pas à la règle de toute forme de commerce en réseau : une réussite commerciale dépend d’un marketing innovant, d’une communication originale et de la mobilisation de l’ensemble du réseau. « Quelque temps avant le démarrage du projet K2, nous avions la volonté de mieux travailler le rythme commercial opérationnel du réseau », explique Antoine Sire. En effet, BNP Paribas dispose d’un média exceptionnel (à l’image de la plupart des grandes banques) à travers les 22 km de vitrines répartis entre les 2 200 agences que compte son réseau. Or, de manière générale, les études ont démontré que les affiches des banquiers dans les vitrines ne sont qu’à peine vues et surtout pas regardées, puisque moins de 1 % des passants jettent un œil vaguement ouvert sur les informations placardées derrière les vitres de leur banque comme derrière celles des concurrentes. Cependant, la tradition est bien ancrée, comme un véritable rituel de la commercialisation d’un produit : faire de l’affichage réseau, même s’il était inefficace. « Pour nous, il devenait urgent de le rendre impactant », lance Antoine Sire en direction d’Alain Roussel, Dg de BETC Euro RSCG. Complices, l’agence et son client, fidèle depuis 1994, développent alors une opération séduction. « Nous avons opté pour une visibilité exubérante mais pas choquante, que nous voulions surprenante et décalée. » Attention, il ne s’agit pas de faire n’importe quoi ! Et si l’expression publicitaire prend des ailes, elle doit néanmoins servir la promotion d’un produit, dotée pour la première fois d’une marque chargée de faire la différence dans cette période économique compliquée. L’exercice marketing et publicitaire n’est pas des plus faciles. « Plus on donne aux clients l’impression d’être ancré dans la vie, plus on lui procure d’émotion, avance Alain Roussel. Or nous avons choisi de rompre avec les codes bancaires traditionnels qui sont sérieux, premier degré, statutaires et informatifs, pour projeter le passant dans l’univers de l’imagination auquel donne droit le cinéma. »

L’alchimie consistant à fusionner les bénéfices d’un produit financier avec l’imaginaire un peu gore et décalé d’un film d’horreur des années cinquante n’est pas aisée. L’opération « K2, le placement mutant » s’installe dans les vitrines à partir du 10 juin, à la surprise générale. Collés au sol, le « K » et le « 2 » gluants, énormes et verts, ne sont pas sans rappeler cette chose monstrueuse de la Guerre des mondes (film de Haskin Byron).
Pendant un mois, les 2 200 agences ont exposé plus de 8 500 affiches provocant la curiosité des passants, tout d’abord intrigués, puis attirés et enfin amusés par la présence d’une affiche de film dans une banque, avant de réaliser qu’il s’agissait d’un produit financier. « Ce visuel K2 devait être exploité uniquement par le réseau, rapporte Antoine Sire, mais, très vite, les remontées des agences et l’accueil enthousiaste nous ont incités à décliner la campagne en Decaux. » Ainsi, grâce à un budget média de 2,1 M d’euros, « K2, le placement mutant » a poursuivi sa carrière dans les rues des villes de plus de 100 000 habitants à travers 20 570 affiches en format Decaux, du 3 au 10 juillet.
Cependant, l’affichage n’était pas le seul média mobilisé autour de ce nouveau produit. En radio, après une phase de teasing sous la forme de quatre messages de 20 secondes diffusés du 11 au 15 juin, le spot de révélation a dévoilé les dessous de l’affaire du 16 au 28 juin. Les fréquences mobilisées sont résolument jeunes, chose suffisamment rare dans le secteur bancaire pour être soulignée. K2 a ainsi forgé sa réputation sur Fun, NRJ, Skyrock, Nova, Latina, MFM, Fréquence Gay, TSF, Ado FM et Voltage.

La presse devait, quant à elle, toucher une cible plus classique avec, entre le 17 et le 28 juin, trois parutions dans le Monde, deux dans la Tribune, les Échos et Investir magazine, et une seule dans Challenges, le Nouvel Obs, l’Express et le Point. Dernière curiosité dans ce plan média : la présence de deux insertions dans Elle… Les femmes seraient-elles sensibles à l’humour bancaire ?

 

Résultats : 850 M d’euros souscrits en huit semaines

Voilà une campagne jugée ridicule par les uns, délirante par les autres, mais qui n’a jamais laissé indifférent. « Elle a été très mobilisatrice pour le réseau, révélant son fort potentiel commercial dès lors qu’il est soutenu par une campagne visible, explique Antoine Sire. Mais nous avions pris un risque car, souvent, lorsqu’une publicité opte pour un ton trop décalé, le réseau ne suit pas. Ici, les responsables d’agence ont très rapidement compris l’aide que ces créations pouvaient leur apporter. » Et les résultats sont spectaculaires, puisque le montant des souscriptions a atteint 850 M d’euros en huit semaines (1). « K2, le placement mutant » a ainsi gagné ses lettres de noblesse comme la meilleure souscription dans l’histoire de BNP Paribas. Mais le résultat dont la banque est le plus fier se résume dans les 12,2 M d’euros souscrits auprès de nouveaux clients, là encore un record pour BNP Paribas. Enfin, parce que le secteur bancaire est incontestablement entré dans l’ère de l’Internet, il n’est pas inutile de préciser que, dès le premier jour de la campagne, le site BNP Paribas a enregistré 700 demandes d’information sur K2.

Côté image, la banque a retenu les résultats d’un posttest de campagne quali conduit par WSA Consultants, qui qualifie ce produit de placement comme « plus adapté », « plus rentable », « plus sûr », « plus innovant », « plus valorisant », « très mémorisable » et « fortement porteur de valeur ajoutée ». Mais, au-delà du produit financier lui-même, cette campagne a servi la « bonne réputation générale » de la marque BNP Paribas (item qui passe de 0 % en 2001 à 8 % en 2002) ; son côté « plus sûr » (7 % contre 1 %) et, enfin, son aptitude à faciliter « l’accès au capital à faible coût » (4 % contre 2 %) (2).
« K2, le placement mutant » a été le premier succès d’une longue série, puisque, depuis, BNP Paribas et BETC Euro RSCG ont conçu une vingtaine d’« affiches cinéma » pour le plus grand plaisir du réseau, désormais habitué à avoir une communication travaillant de façon décalée. « Les différentes campagnes sont systématiquement décrites et commentées lors des sessions de formation des vendeurs, explique Antoine Sire, ce qui explique en partie la motivation toujours croissante du réseau, qui, chaque fois, réagit de mieux en mieux. »

Et l’efficacité est toujours au rendez-vous puisque toutes les campagnes ont obtenu des résultats satisfaisants par rapport aux standards du marché. Cependant, ce sont sans conteste les cinq campagnes ayant bénéficié d’un soutien en affichage Decaux qui ont surperformé : parmi les autres produits financiers, Boster a engendré quelque 900 M d’euros de souscriptions, et Z2 1 Md d’euros … Les records tombent les uns après les autres, tandis que BNP Paribas a réussi la performance de faire de l’image sur des offres ponctuelles et promotionnelles !

Anne Lavaud

(1) Source BNP Paribas BDDF-EMS.
(2) Selon le « Customer Insight & Competitor Awareness », Financial Times Bank Image Survey de 2002.