Violences conjugales
Comment mettre de l’écoute au royaume du silence

Première campagne gouvernementale d’ampleur sur le thème des violences conjugales, l’initiative n’avait pas pour objectif d’anéantir le fléau, mais d’instaurer, chez les victimes comme les témoins, un réflexe : le 39 19. Une ligne d’écoute saturée avant même le lancement officiel de la campagne.

Objectif
Faire connaître le 39 19

Lancée au premier semestre 2007, cette campagne aura marqué un grand tournant pour les pouvoirs publics, dont c’est la première prise de parole grand public sur le thème des violences conjugales. Les grandes campagnes nationales (parfois chocs) émanaient jusqu’alors principalement d’associations et organismes privés, les pouvoirs publics étant essentiellement émetteurs de documentation pratique sur la question des recours légaux pour les victimes.

Laurent Setton, délégué à l’information et à la communication auprès du ministère du Travail, des Relations sociales et de la Solidarité, et du ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports, porte une initiative pour le moins pragmatique sur un timing que d’aucuns peuvent juger tardif : La situation était sous-estimée, et elle l’est encore, estime-t-il. Une principale explication : Beaucoup de femmes n’osent pas faire savoir ce qu’elles subissent et engager des poursuites contre leur conjoint. Cela induit une difficile remise en cause de sa vie, sa famille, son couple… Il y a encore beaucoup de honte , ajoute-t-il. Les statistiques sur l’ampleur du drame font froid dans le dos : en 2000, selon l’Insee, près d’une femme sur dix avait subi des actes de violence conjugale (violences physiques, sexuelles, verbales ou psychologiques).

En 2006, selon le ministère délégué à la Cohésion sociale et à la Parité, c’est une femme qui meurt tous les trois jours, en France, sous les coups de son mari ou compagnon. Ce second chiffre servira de socle à une communication dont la genèse est, en fait, à aller chercher en 2004. La ministre en charge de la Parité lance alors un plan triennal de lutte contre les violences faites aux femmes, et plus parti culièrement celles exercées dans le cadre conjugal. Autour d’une dizaine de mesures phares, ce plan fournit des réponses sociales, économiques et juridiques. Et vise une mise en cohérence renforcée de l’action des pouvoirs publics, des associations, de la police.

La création d’une grande plateforme nationale téléphonique est alors prévue par le biais d’une association subventionnée par les pouvoirs publics, la Fédération nationale Solidarité Femmes. Cette plate-forme profitera d’une numérotation spéciale à quatre chiffres, 39 19, et son ouverture est prévue mi-mars 2007. À l’hiver 2006, décision est prise d’accompagner le lancement de cette plate-forme par une campagne de communication grand public. L’objectif de la campagne est double : faire connaître le numéro et sensibiliser l’opinion. Des éléments qui vont constituer l’essentiel du brief mis à disposition des agences retenues dans le cadre de l’appel d’offres, et qui s’accompagnent d’une volonté farouche, pour Laurent Setton et ses équipes, de marquer les esprits. Bien que le plan média soit alors « libre », l’annonceur ne cache pas non plus son intérêt pour une stratégie média et hors média.

Moyen
La télévision au coeur du dispositif

Échéance électorale oblige, c’est dans un délai très bref que l’agence CLM BBDO, de même que les autres participantes, a dû formuler sa copie. De même qu’elle a dû composer avec un budget très serré. Plusieurs partis pris sont adoptés. En premier lieu, faire de la télévision : Nous voulions donner droit de cité à ce drame au niveau national, et la TV était le plus à même de le faire, d’autant que ce fléau touche tous les foyers, sans distinction de CSP, explique Pascal Couvry, pilote du projet chez CLM BBDO.

Les contraintes de budget et le coût du média ont un premier effet, l’obligation de recourir à un format court. L’agence élabore son message à partir de deux chiffres clefs : la seconde statistique citée plus haut et le numéro de téléphone, le 39 19. Quand le premier vise à signifier l’ampleur du drame et son enjeu fatal, le second est souvent la seule issue possible, de par, notamment, sa facilité d’accès. Une victime n’a personne à qui s’adresser. Le téléphone est souvent la seule façon de sortir de l’enfermement dans lequel l’a mise cette violence, insiste L. Setton.

Autre parti pris, l’agence s’interdit de mettre en scène cette violence dans une fiction. Nous ne voulions pas stigmatiser une population, ajoute P. Couvry. Qui, surtout, se voyait mal dans la peau du réalisateur se demandant si la comédienne a « une bonne tête de victime », ou invitant à « taper plus fort » pour capturer la « meilleure scène ». La solution est venue des créatifs, Lucie Valloton et Julien Perrard, qui, sous la houlette de leurs DC, ont joué la carte de la « fausse piste ».

À la clef, un film sobre et saisissant de justesse. Plan fixe d’un sublime coucher de soleil sur la mer. Une voix off soupire : « Mon mari m’a battue et humiliée pendant dix ans. Il m’a cassé plusieurs fois le nez, les côtes, les dents. Mais depuis quinze jours, c’est enfin terminé ». Le plan s’élargit sur une tombe. « En France, tous les trois jours, une femme meurt, victime de violences conjugales. Parlez-en avant de ne plus pouvoir le faire : appelez le 39 19 ».

Le film, qui dure 18 s en télévision (24 s pour le Net), est diffusé en une seule vague du 17 mars au 7 avril. Soit 1 152 passages sur les chaînes hertziennes et le câble. Avec une pression totale sur les femmes de 25-49 ans, notre principale cible, de 569,9 GRP, avance L. Setton.

En hors média, l’édition, gage de proximité et de durée de vie plus longue de la campagne, n’est pas en reste : des affiches (40 x 60) tirées à 75 000 ex., dépliants et mémos à 160 000 ex. chacun. Ils sont diffusés dans les associations, services administratifs et médicaux, commissariats, gendarmeries, bureaux de poste, mairies… et permettent à ces relais d’avoir une idée claire des recours existants, telle la possi bilité, pour les victimes devant quitter leur foyer et emploi, de négocier un licenciement ou d’être accueillies dans des foyers spécialisés. Faute de temps et de moyens, l’opération n’a pu être soutenue par un site dédié. Le site femmes-égalité.gouv.fr. a néanmoins été renforcé. Le lancement du 39 19 s’accompagne dès lors d’un renforcement de la plate-forme téléphonique, qui passe de huit à seize postes.

Résultat
Une opinion sensibilisée

Le jour de la conférence de presse, soit quatre jours avant le démarrage de la campagne, les chaînes de télévision diffusent le spot en boucle. Dans les heures qui suivent, le standard explose sous les appels , explique Laurent Setton. Du 14 au 18 mars, ce sont plus de 5 000 appels qui vont être traités. Mais autant qui vont échouer. Si l’écho rencontré – personne n’osera parler ici de succès – se situe au-delà des attentes, il se sera heurté à deux problèmes : une trop longue durée des appels (vingt minutes en moyenne), et le nombre trop faible de postes d’écoutants, difficiles à recruter du fait de leur profil très qualifié. Pour des raisons évidentes, ce sont toutes des femmes. Elle connaissent parfaitement la problématique et la façon de dialoguer avec les victimes ou avec leur entourage, explique Laurent Setton. À l’arrêt de la campagne TV, ces appels retomberont aux alentours de 1 000 appels par semaine (l’équivalent d’une journée d’appels pendant la diffusion).

Ainsi, en trois semaines, le 39 19 a reçu autant d’appels que l’ancienne plate-forme en un an. Le film a bénéficié de plus de 22 000 visionnages sur YouTube et 10 000 sur Dailymotion. Deux jours après la conférence de presse, les Guignols parodiaient le spot dans un clin d’oeil au PSG. C’est un caractère marquant, bien que non scientifique, se félicitent L. Setton et P. Couvry. Pour tous deux le premier mérite de cette campagne aura été de sensibiliser l’opinion.

Les posttests réalisés par BVA (1 035 personnes de 15 ans et plus) se sont révélés pour le moins encourageants : un taux d’agrément du message à 95 % et un taux d’agrément de la campagne à 90 %. Près de trois femmes victimes sur quatre se souviennent spontanément de la campagne. 68 % des personnes interrogées déclarent que cette campagne les a fait réfléchir sur la situation des femmes victimes de violence au sein de leur couple. Plus d’une personne sur deux ayant été victime ou témoin a été incitée par cette campagne à parler de violences conjugales avec ses proches.

Mais face au fléau, la route reste encore très longue. Le fait d’être prêt, en tant que victime, à faire le geste d’appeler est encore insuffisant, insistent L. Setton et P. Couvry. S’il a marqué un temps d’arrêt avec l’échéance présidentielle, le chantier se poursuit. Le gouvernement prépare de nouvelles annonces sur ce sujet dans les semaines à venir, avec de probables actions de communication, lâche ainsi du bout des lèvres Laurent Setton, qui refuse de lever le voile sur ce programme. Un nouvel appel d’offres vient ainsi d’être lancé avec, in fine, une coopération plus pérenne puisque le contrat devrait courir sur trois ans.

Fouzia Kamal - CB News - www.cbnews.fr