My beautiful London
Comment sortir du tunnel à toute vapeur

2000 - EUROSTAR - YOUNG & RUBICAM

L’attrait du neuf ne dure pas toujours, et si, en 1995, Eurostar avait hissé Londres au tep des destinations, il était temps de trouver une nouvelle impulsion pour remettre les français sur les rails vers Waterloo Station.

Objectif : enrayer une chute annoncée

Creuser un tunnel sous la Manche pour y faire passer un train : cette aventure du XXème siècle a pris fin dans les années 90, et le rêve a laissé la place à l’exploitation commerciale. C’est ainsi que, en novembre 1994, l’Eurostar est hissé sur rails, remettant du même coup Londres à portée de gare. Young & Rubicam (l’agence gérant aussi le budget en Grande-Bretagne et en Belgique) s’empare alors de cette image pour signer la campagne de lancement de mai 1995, d’un pertinent : « Paris-Londres d’un seul trait ».

Le succès est au rendez-vous et, rapidement, Eurostar double le trafic outre-Manche et s’octroie 60 % du marché air/fer sur la destination Paris-Londres. Une part de marché que nous décomposons en deux, souligne Bertrand Guillon, directeur commercial du marché loisirs, en distinguant d’une part le segment des loisirs, où nous détenons 90 % du marché, de celui des affaires, sur lequel nous réalisons la moitié des trajets.

Deux cibles, donc deux objectifs : la fidélisation est au cœur de la stratégie business, tandis que le dépaysement offert par Londres anime la seconde. Tout l’enjeu marketing et publicitaire consiste à bâtir puis à maintenir un intérêt pour la destination, mais avec Eurostar, comme moyen de transport, précise Sandra Mangano, responsable communication France. Nous ne sommes pas l’office du tourisme de Londres ! Voilà donc, pour l’agence, un budget à destination du grand public, mais non mass market, pour lequel il ne faut attendre aucun changement de produit (l’Eurostar) ni de bénéfice (Londres).

Et pourtant, il y avait fort à faire, car si les français sont tous convaincus de connaître la capitale de l’Angleterre, ils la résument le plus souvent à Queen Mum et aux punks. Un raccourci qui laisse peu de place à cette cité présentée également comme une ville d’attitude et de consommation : destination idéale pour un « short break » en solo, en duo ou en famille.

En 1997, Eurostar remet son budget en compétition, pour le confier à nouveau à la Young, qui adopte à ce moment-là une nouvelle stratégie média, laissant tomber la télévision pour se concentrer sur les médias de proximité. Seuls les parisiens, les franciliens et les lillois sont réellement concernés par notre discours, souligne Franck Saelens, directeur général adjoint de Young & Rubicam. De ce fait, l’affichage, la radio et la presse apportaient une réponse en meilleure adéquation avec notre cible. Mais tandis qu’en cette fin de siècle Eurostar pour suit son travail de séduction, le marché des loisirs et du tourisme change. En effet, la déréglementation des transports et l’ouverture des pays de l’Est ont considérablement modifié le comportement des candidats au voyage, qui se vient désormais proposer à des prix imbattables un week-end ou trois-quatre jours à l’étranger.

Une difficulté supplémentaire qui ne doit pas masquer une réalité spécifique de ce marché, selon Frank Saelens : Contrairement à un produit de grande consommation, un achat en année 1 n’implique pas nécessairement un ré-achat en année 2 ou 3 .

Dans ce contexte, Eurostar constate, pour la première fois de sa courte histoire, une stagnation de ses courbes de résultats au printemps 1999. Quelques semaines plus tard, au vu d’un léger déclin, c’est le branle-bas de combat.

Moyens : 45 MF dont 30 % en affichage

Il devenait donc urgent pour Eurostar de regagner en visibilité et en présence à l’esprit auprès d’une cible large, tout en travaillant l’incitation sur l’ensemble des cibles potentielles et en assurant le lancement d’offres tarifaires saisonnières ou ponctuelles.

Rapidement, l’entreprise conçoit un emballage marketing pour deux tarifs qui existaient dans son catalogue mais sans être spécialement packagés. Le « Night Trip » et le « Day Trip » ont été créés pour construire des attitudes de voyage. Concevoir ces produits nous a conduits à travailler plus spécifiquement quelques cœurs de cible, précise Pierre Tilhou, directeur de la branche loisirs. Loin de vouloir nous éparpiller, nous avons au contraire demandé à l’agence de concentrer le discours sur nos priorités, à savoir l’axe Paris-Londres et son vecteur, ainsi que le contenu de notre promesse résumé dans la fréquence, le prix et les trois heures de voyage .

Young & Rubicam met en place un code graphique et une personnalité de marque fondée sur un bandeau bleu nuit, accueillant une accroche dans un style panneau de gare, et surlignant une photo haute en couleurs ou en symbolique. En adoptant une charte très stricte, nous souhaitions montrer Londres à travers un filtre identifiant et doter notre message de vitalité tout en gardant une forte cohérence d’émetteur, souligne Frank Saelens. En outre, nous voulions jouer la récurrence en revenant tous les deux mois avec de nouvelles campagnes .

A travers une création d’une forte personnalité relevant à la fois de l’humour, de la pertinence et de la fameuse British Touch, l’agence a donné une première réponse au critère de visibilité qu’elle souhaitait mettre en avant.

L’autre moyen utilisé pour parvenir à ces fins est la politique d’achat d’espace. Pour Young & Rubicam, Eurostar est notre laboratoire in vivo sur « l’ambient media », stratégie consistant à diffuser un même message aux consommateurs par différents canaux. C’est-à-dire une politique média qui se calque sur la vie des gens et infiltre leur quotidien, quitte à sortir, s’il le faut, des supports médias classiques : l’agence raffole de cette idée et entend prouver avec Eurostar que ça marche !

Concrètement, il vous suffit de vous promener dans la rue, de lever le nez, d’ouvrir un magazine, de sortir en boîte, d’aller boire un café ou d’errer dans une salle des pas perdus pour vous rendre compte que Eurostar vous y a précédé sous forme de cartes postales, d’affichage dans les kiosques, de vitrines des cafés, de couloirs de métro… Ce travail sur la lisibilité s’accompagne d’un plan média classique en radio et en affichage sur les zones phares (Paris, Ile-de-France et Lille), avec pour chaque vague bimestrielle un triptyque de trois visuels chaque fois plus surprenant. On se souvient de l’œuf sur le plat (le soleil se lève), des punks percés de partout (la plus grande quincaillerie est à 3 heures de paris), ou encore de la ruée sur les soldes…

En outre, l’agence estime parvenir à une réelle synergie entre ces actions médias et une kyrielle d’opérations ponctuelles destinées à travailler l’incitation au voyage et l’affinité avec la destination.

L’incitation prend la forme de l’Eurostar London News. Ces petits guides, réalisés avec la caution de Time Out, donnent mille et une raisons pour se rendre de toute urgence au pied de Big Ben. Tirés quatre fois par an à 1 million d’exemplaires, ils sont encartés dans la presse (l’Equipe magazine, l’Express, le Figaro Magazine, Marie-Claire, le Nouvel Observateur , Première et Télérama). Eurostar devient alors bien plus qu’un simple train pour Londres, mais un véritable compagnon de voyage.

Côté affinités, l’agence et son client ont déterminé certains leviers thématiques : l’art, la famille, les jeunes. Les amateurs de peinture sont sollicités via Museart, l’affiche Turner ou encore Tate Modem ; les familles se retrouveront dans le guide sur Londres avec les enfants, distribué par Top Famille et dans ce sourire « bagué », clin d’œil d’une jeune anglaise.

Enfin, pour toucher les « urban trendy », Eurostar et Nova ont « pacsé » le temps d’un guide, alors qu’une abondante distribution de « flyers » dans les boîtes de nuit assurait la promotion du Night Trip.

Quel budget ! sommes-nous tentés de penser au regard de ce déferlement de moyens. Pourtant, Eurostar affirme n’avoir pas outrageusement gonflé son enveloppe communication, passant de 39 MF en 1998 à 45 MF pour l’exercice suivant. L’effet de masse serait donc dû au seul « ambient media » tant encensé par l’agence !


Résultats : 40 MF de CA supplémentaires

Les records et les récompenses pleuvent, et pourtant ni l’agence ni l’annonceur ne semblent blasés ! Les résultats commerciaux sont exceptionnels, puisque sur le « Day Trip », Eurostar annonce une croissance de 122 % par rapport à l’ancien tarif jour, tandis que cette progression culmine à 450 % sur la période des deux semaines de soldes du mois de janvier, période traditionnellement creuse sur cette destination.

Le pli est pris de faire ses courses à Londres, puisque dans les quelques week-ends précédant les fêtes de Noël, on enregistrait, le samedi matin, plus de 1 500 Day Trips au départ de Paris , raconte Bertrand Guillon, bien persuadé de connaître encore cette la même euphorie en gare du Nord.

De manière générale, l’ensemble du marché aérien et ferroviaire sur la liaison Londres-Paris a progressé de 8 % au cours des huit premiers mois de l’année 2000. Période pendant laquelle le trafic Eurostar a bondi de 10,3 %, soit un gain de part de marché de 1,3 % à 63,4 %. Un pic de 68,5 % de part de marché a même été atteint au mois d’août , précise-t-on fièrement du côté de l’annonceur.

Indéniablement, la campagne orchestrée par Young & Rubicam a rempli son objectif, en y ajoutant ce petit zeste de talent qui plaît tant au public. En effet, alors que les campagnes Eurostar ne sont jamais pré-testées, elles explosent tous les compteurs des post-tests Ipsos. Ainsi, les campagnes « portraits » et « soldes » ont tour à tour pris la tête du classement hebdomadaire réalisé par Ipsos. La première, avec ses adeptes du piercing, ses hindous et son anglais hilare, ont atteint 82 % de reconnaissance (pour un standard de 63 % dans le secteur du transport) et 57 % en attribution (standard : 41 %). La foule hystérique des candidats aux soldes remporte, elle, respectivement 77 % et 58 %.

Ces notes de premier de classe ont un effet direct sur la marque : la notoriété spontanée est passée de 54 % en juin 1999 à 67 % en décembre de la même année, tandis que la notoriété assistée s’offrait, pour Noël, le mythique 99 % !

Enfin, s’il était encore nécessaire d’en ajouter pour convaincre, il faut savoir que le baromètre de notoriété et d’image Eurostar/Ipsos donne une progression significative de l’item « marque proche et sympathique », passant de 67 % en novembre 1999 à 78 % en avril 2000.

Juste un regard hors de nos frontières pour découvrir que nos amis britanniques n’auraient sûrement pas accordé à cette campagne le Premier Prix campagne d’affichage au Club des DE, encore moins le deuxième prix des « coups presse » ni, bien évidemment, le Grand Prix Stratégie secteur tourisme, pour la simple raison qu’il ne la trouvent pas drôle !