« Omo est là et crapoto basta » Quand le risque paye

1994 - LEVER FABERGE - LOWE ALICE

A la fin des années 80, OMO l'inventeur de la lessive sans savon (1952), leader historique du marché et créateur des grands codes lessiviers, n'est plus qu'une vieille marque oubliée représentant à peine 6 % du marché.

En 1990, Lever et Lintas décident de mettre à l'antenne un couple de singes parlant un langage bien étrange pour vanter les vertus de leur lessive : OMO. Les "Cassandre" sont nombreux à prévoir l'échec d'une campagne qui ose transgresser les "sacro-saintes" règles d'or de la communication lessivière ...

Fin 1993, les résultats parlent d'eux-mêmes :

Le risque aura donc payé


Préambule

En 1990, l'enjeu pour Lever et pour Lintas est simple : redonner à OMO sa raison d'être et remettre enfin la marque dans une logique de succès ... challenge difficile pour une marque qui a :

  1. vieilli avec ses consommatrices,
  2. rien à dire de nouveau sur le produit,
  3. lassé la téléspectatrice,
  4. et surtout, moins de moyens que la concurrence !

1 - La problématique Omo

A. Une marque qui a vieilli avec ses consommatrices

Au début des années 50, OMO invente le 1er détergent de synthèse et ses grands codes de communication :
1952 : Lancement du 1er détergent de synthèse, "libérateur" des femmes et de la corvée du lavage à la main, la poudre de savon.
1954 : Arrivée triomphale d'OMO avec le célèbre "OMO est là, la saleté s'en va" ... C'est le "miracle OMO" !
Le triangle infernal, principe des publicités lessivières, est institué :

Ennemie = Saleté
Victime = Sauveur = femme OMO

En 6 ans, tous les grands schémas publicitaires sont inventés : la "démo" pseudo-scientifique, le torture-test, le testimonial, la comparaison, la prescription, etc ...

1958 : OMO est le leader incontesté du marché avec 32 % de PDM. Avec un capital de marque chargé de valeurs essentielles (Force, Simplicité, Honnêteté) et un territoire bien spécifique (la Famille), OMO fait désormais partie du paysage culturel français.

Toutefois, dès 1959, OMO perd peu à peu sa raison d'être et amorce un long déclin avec :

Au début des années 90, la doyenne des lessives s'est démodée et incarne plus que jamais la lessive du passé ... face à son concurrent technologique ARIEL et son concurrent, en termes de positionnement prix, SUPER-CROIX.

OMO ne recrute plus de nouvelles consommatrices. Son profil d'acheteurs est devenu : âgé, modeste, plutôt rural avec famille nombreuse, la proie des marques distributeurs.

B. Une marque sans innovation produit

D'initiateur, OMO est devenu suiveur :
Dépassé dès 59 par ses concurrents technologiques, OMO choisit de sortir des batailles produits de l'époque (Bio détachants super actifs, adoucissants ...) en déplaçant son discours du rationnel à l'émotionnel. La marque traverse ainsi les années 70 et 80 avec des campagnes de territoire (ex : "les métiers") sur un ton vrai et intimiste mais également passéiste.
Le capital de marque s'enrichit de valeurs d'affectivité, de tendresse et de complicité.

Toutefois, son produit n'a pas su se renouveler pour suivre l'évolution du marché et de la consommatrice. Devenu basique, OMO incarne la lessive du "gros linge", agressive, "bonne à tout" et pas chère.

De même, OMO manque le lancement des lessives concentrées "micro" puisque mi-90 ARIEL, SKIP, BONUX, GAMA, DASH, SUPER-CROIX et AXION se sont déjà lancées en poudre micro.

Quand OMO s'apprête à lancer son "Micro", le marché a déjà un an d'existence.

C. Une marque qui a lassé la téléspectatrice

Après 40 ans de communication publicitaire, la marque OMO est prisonnière des codes qu'elle a elle-même créés. Elle incarne plus que jamais "l'archétype de la lessive" :

L'archétype de la lessive est devenu caricatural et focalise tous les travers de la publicité lessive (Cf : sketch de Coluche : les noeuds).

D. Et surtout une marque avec moins de moyens que la concurrence


DEPENSES EN ACHAT D'ESPACE TOUS MEDIAS EN INDICE

ARIEL indice 100
SKIP 90
OMO 12


Omo est alors le dixième investisseur du marché qui comprend une quinzaine de marques.

2 - La problématique Omo, en resumé...

A. En 1990, Omo est une vieille marque oubliée

B. mais une vieille marque qui a des atouts pour se réveiller

3 - La stratégie développée

A. L'opportunité

La communication lessivière est régie par des codes quasiment immuables, voire dogmatiques :

  1. Une logique problème / solution
  2. Un discours extrêmement rationnel : une surenchère à la performance et à l'innovation technologique
  3. Un ton impérialiste et souvent culpabilisant pour la consommatrice
  4. Un principe d'identification de la téléspectatrice via le sempiternel testimonial de la ménagère
  5. Une logique média de répétition qui sur-expose la téléspectatrice au même film

D'où une lassitude des téléspectatrices et qui plus est, une confusion entre les marques, le plus souvent au profit du leader qui sur-investit : ARIEL.

B. L'objectif

C. Les parti-pris stratégiques

  1. Casser les codes publicitaires du marché pour créer l'impact et susciter l'agrément.
  2. Capitaliser sur les valeurs et le caractère pragmatique d'OMO :
    • Tenir un discours simple et chaleureux à contre-pied des discours technologiques de la concurrence.
    • Revenir à la promesse centrale d'efficacité avec le claim qui a fait le succès de la marque : "OMO est là, la saleté s'en va !".
  3. Se concentrer sur deux cibles spécifiques :
    • Une nouvelle population plus jeune, lassée par le discours dramatisant des grandes marques et qui ne se reconnaissent pas dans les "phobiques" des taches comme les fidèles d'ARIEL.
    • Les fidèles d'OMO : les revaloriser en leur donnant la fierté de la marque.

En un mot, dire la même chose ... mais différemment !

4 - La réponse créative

A. Le point de départ

En regardant une compilation de films étrangers, les créatifs de l'agence s'aperçoivent que les spots de lessive racontent toujours la même chose : un drame autour d'un problème de tache, que les gestes et intonations des personnages suffisent à faire comprendre, quelle que soit la langue ...

B. Première étape : l'invention du poldomoldave

C. Deuxième étape : la création de nouveau personnages : les singes

Comment expliquer ...
- le succès de l'animatic
- l'échec du film une fois tourné ?

L'analyse de tests montre qu'une mise à distance semble nécessaire dans la forme du personnage pour que l'identification primaire dévalorisante soit évitée et que l'effet comique du Poldomoldave fonctionne.

Les créatifs ont alors l'idée de mettre en scène des singes plutôt que de vrais acteurs pour créer un décalage :
Le singe, seul est ...
- assez proche de l'homme pour permettre la projection,
- mais assez éloigné pour éviter l'identification

... et sera au niveau visuel ce qu'est le Poldomoldave au niveau verbal :

une sorte de point d'équilibre entre une incontestable distance et une familiarité due aux mots phonétiquement reconnaissables.

Le couple Singe-Poldomoldave apparaît dès lors non seulement cohérent mais même indissociable !

5 - Le mécanisme de la campagne

A. Un mécanisme en 3 étapes


SINGES + POLDOMOLDAVE + "A-REALITE" 1.par la mise à distance créée par la forme du personnage :
"je" ne s'identifie pas à un "singe".
SITUATION UNIVERSELLE = "HYPER-REALITE" 2. Au profit d'une identification "secondaire"
rendue possible par la mise en scène de situations quotidiennes universellement vraies dans lesquelles le téléspectateur se projette : 
Le consommateur vit la scène au second degré en oubliant les singes  : "Je crois voir mon mari !".
POST-RATIONALISATION = COMPLICITE

3. Qui introduit une complicité entre Omo et le téléspectateur
- Valorisation du consommateur qui a su décoder : "OK, j'ai compris"
- Valorisation de la marque qui a su faire sourire

B. Comment des singes ont-ils fait vendre de la lessive ?

Cet étonnant processus de projection permet :

  1. Une véritable "libération" par rapport aux schémas lessiviers classiques (notamment par la multiplicité des niveaux d'interprétation possibles) et donc un impact immédiat.
  2. La mise en scène paradoxale de situations authentiques "hyper-réalistes" de la vie quotidienne (type scène de ménage) qui, traitées au 1er degré, seraient insupportables pour le téléspectateur : la publicité prend alors valeur de parabole.
  3. Une forte implication du téléspectateur qui prend plaisir à se reconnaître dans les différentes saynètes.
  4. Une forte complicité entre le consommateur (qui finit par "jouer" avec le langage) et la marque qui remporte finalement l'adhésion.
  5. Enfin, le développement d'une argumentation très produit, extraordinairement bien restituée par les consommateurs.
  6. --> Un forme originale qui, loin d'être artificielle, permet de faire passer un message de fond extrêmement sérieux, qui sinon serait très ennuyeux.

    6 - La campagne : une saga en 5 épisodes

    A. Episode n°1 : "Touti rikiki, maousse costo"

    1990 Lancement d'Omo Micro Plus avec un double dispositif média :
    - Campagne d'affichage King Kong tenant dans son énorme main un petit baril d'OMO Micro en teasing une semaine avant le début de la vague TV
    - Campagne TV "le mari" 30" : une situation lessivielle archétypale extrêmement simple à décoder entre un mari et sa femme.

    1991 Campagne TV reconduite.

    B. Episode n°2 : "Plus rokiki, big biscotto"

    1992 Soutien de la marque OMO en deux temps :

    Janvier - Campagne d'affichage institutionnelle

    Février - "OMO est là et crapoto basta" mettant à l'affiche des singes en situation de travail (référence à la campagne métier) : le mécano, le jardinier, le peintre, le tennisman.

    Septembre - Renouvellement de la campagne TV OMO Micro Plus avec le film "La famille" 40" : situation élargie à trois personnes (le bébé) avec toujours plus de tendresse et de complicité.

    C. Episode n°3 : "Glouglou rikiki, maousse costo"

    1992 Lancement d'OMO Micro Liquide en deux étapes :

    Juillet/Août
    - Campagne d'affichage 4x3 en panoramir avec teasing "Kiceti lo Glouglou Rikiki ?" mettant à l'affiche des singes en situation de travail lié à l'eau : le surfeur, le pêcheur, la lolita. Révélation : "Lo Glouglou Rikiki, c'est bibi"
    - Campagne presse magazine féminine sur le même thème

    Novembre - Campagne TV "L'Aviateur"
    Situation moins classique que les films précédents sur un registre plus émotionnel.

    D. Episode n°4 : "Basta les megabeurk, flashi les coloris"

    1993 Lancement d'OMO Color avec le film "le pari" 40"
    Juin - Situation en extérieur élargie à quatre personnages davantage centrée sur le discours produit.

    E. Episode n°5 : "C'est adecouak per les pepettes"

    1993
    Juillet - Campagne TV baril métal OMO Micro Plus

    Décembre - Campagne d'affichage nationale Eco-recharge OMO

    7 - Le retour sur investissement

    A. Le verdict des ventes : +25% ebtre 1990 et 1993

    La marque retrouve, en novembre 93, sa part de marché d'il y a 10 ans : 9,0 %.

    5e marque du marché, dépassée par ses principaux concurrents à la fin des années 80, OMO redevient la 3e marque du marché en 93, véritable challenger de SKIP et ARIEL, à 3 points d'écart de part de marché avec la 4e marque du marché.


    B. Un retour sur investissement trois fois supérieur à celui du leader Ariel

    ARIEL obtient sur la période 1989 - 1993 sensiblement la même progression qu'OMO : + 2 points de part de marché en valeur.

    Mais avec, en moyenne sur les quatre années, un investissement média trois fois supérieur à OMO.

    Conclusion : Quand OMO investit 1F, ARIEL doit en investir 3 pour la même progression en valeur absolue de part de marché valeur.

    C. En terme d'image, Omo a retrouvé les attributs d'une grande marque

    1. Forte progression de la présence à l'esprit :
    + 17 points de notoriété spontanée


      11/89 07/93
    ARIEL
    SKIP
    OMO
    75 %
    70 %
    53 %
    79 %
    63 %
    70 %

    (Source : Millward Brown)

    2. Forte évolution de l'image de marque

    Une image d'efficacité aussi performante que le leader ARIEL et ses démonstrations rationnelles ...

    Mais avec une personnalité de marque nettement plus appréciée : OMO capitalise sur ses valeurs émotionnelles et son capital-sympathie.


    L'étude Omnibus Publimétrie 92 le prouve : OMO = Meilleur score !

      Souvenir spontané Publicité préférée
    OMO 126 mentions 68 mentions
    CHANEL 77 mentions 37 mentions (Vanessa Paradis)
    NINTENDO 74 mentions 7 mentions
    SEGA 66 mentions 13 mentions
    RENAULT 60 mentions 18 mentions
    PEUGEOT 58 mentions 26 mentions
    DANONE 52 mentions 16 mentions
    BARBIE 42 mentions 5 mentions
    ESSO 37 mentions 11 mentions
    LOTUS 34 mentions 15 mentions

    Enquête réalisée à l'aide de deux questions ouvertes. Echantillon : 1052 personnes.
    Questions :
    Parmi toutes les publicités que vous avez vues ces dernières semaines à la télévision, quelles sont toutes celles dont vous vous souvenez ?
    Parmi elles, laquelle avez-vous préféré ?



    3. Fort travail de fidélisation : nette évolution du poids des acheteuses très fidèles à la marque OMO depuis 86 :



    4. Et surtout ... un important rajeunissement de la cible acheteuse

    Depuis la campagne singes, le taux d'essai de la marque s'est nettement accru (+ 8 points de pénétration) auprès des jeunes maîtresses de maison (- 35 ans), alors qu'elle a progressé de seulement 2 points sur le total de l'échantillon.



    D. La campagne a surtout démontré sa capacité a délivrer
    un message stratégique et rationnel, centré sur la performance


    Question : A votre avis, quel message la marque veut-elle faire passer dans cette communication ?
    (Source Millward Brown)



    E. Avec des scores d'impact et d'agrément au-dessus des standards

      Omo   Standard lessive
    Impact 88 % 47%
    Attribution spécifique Omo 67 % 19 %

    Film "le pari / Color" 1993 (Millward Brown).

      Omo Standard lessive
    Impact 86 % 54 %
    Attribution spécifique Omo< 79 % 28 %
     

    Affichage Corporate "OMO est là et crapoto basta"
    Janvier 1992 : Meilleurs résultats Ipsos de la catégorie en affichage.

      Omo Standard lessive
    Reconnaissance 90 % 45 %
    Attribution 44 % 24 %
    Agrément 72 % 46 %
    Intention d'achat positive 44 % 29 %

    F. Au delà des résultats commerciaux, un véritable phénoméne culturel !

    Une campagne récompensée par le public via de nombreux prix, dont ...

    1991
  7. Festival Français du Film Publicitaire 91 : Minerve catégorie prix d'entretien
  8. Edhec Annonceur Mai 91 : Grand Prix catégorie consommation courante

  9. 1992
  10. Grand prix Stratégies : mentions secteur entretien en 92 et 93

  11. 1993
  12. Oscar LSA 93 : Oscar catégorie entretien (jury de distributeurs)
  13. Affichages Sup de Co Toulouse 93 : 1er prix catégorie "Publicité nationale"
  14. Grand Prix de la Publicité 1993 ESCP : le 1er prix des consommateurs (TV)
  15. Mondial de la Publicité Francophone 93 :
  16. Mondial de Bronze
  17. Prix de la meilleure contribution à l'enrichissement de la langue française
  18. Un langage extrêmement populaire aujourd'hui adopté dans la presse, à la télévision, à l'école ... et même par nos politiciens (Alain Juppé, Charles Pasqua, etc ...) !


    CONCLUSION : LES RAISONS DU SUCCES

    Le succès de cette campagne ne peut pas s'expliquer par :

    Une innovation technologique majeure : OMO n'a fait que remettre sa gamme à niveau en développant des produits déjà installés par la concurrence (Micro, Liquide et Color).

    Un soutien promotionnel ou une action spécifique vis-à-vis de la distribution : la marque a gardé les mêmes investissements.

    ... Mais par 3 raisons fondamentales :

    1. Un ton et une exécution résolument en rupture avec les codes du marché qui ont permis à OMO à la fois d'émerger et de créer un fort courant de sympathie vers la marque.

    2. Un discours extrêmement rationnel centré sur l'efficacité contre les taches : "OMO est là et crapoto basta".

    3. Une très grande cohérence avec le positionnement de la marque (une lessive efficace à un prix raisonnable), et son histoire (une marque familiale et proche des gens).